Aïe, aïe, aïe ce diable de calendrier qui ne concède jamais la moindre pause
Elle est loin, bien loin l'année où nous franchissions la porte de ces vénérables murs où nous allions essayer d'apprendre à lire, écrire et calculer. Notre institutrice, qui par ailleurs était ma tante, avait décrété que nous allions constituer une division triangulaire. Bigre quel bien grand mot d'autant plus que nous n'en connaissions pas encore le sens et ignorions qu'il a aussi un sens militaire qui, alors, nous échappait totalement. Notre condisciple et amie Françoise et toi-même en étiez les fondements féminins et, tout naturellement, tu en fus l'élément le plus brillant par ta capacité de préhension de tout ce qui nous était imposé. Plus tard, bien plus tard, notre "division" ayant franchi le petit pas qui nous avait promus sur l'autre rive de la Nauze nous fumes amenés à construire une phrase pour définir le printemps. Là je fus impressionné par la tienne qui, 65 ans après, demeure gravée dans mon "disque dur". "J'ai été, [ou j'étais] en extase devant le fleurissement d'une haie d'aubépine blanche." Non ce n'était pas la grande Colette, la femme de lettres venait de décéder en 1954, mais Lydie qui sortit cette envolée. Elle surprit tout le monde, y compris l'enseignant qui marqua un point de recul admiratif, ce qui était loin… bien loin, très loin d'être habituel à l'époque. Pour ma part je suis bien certain que l'archi-médiocre élève de cours moyen que j'étais découvrit là une "efflorescence botanique" qui sortait d'une escarcelle inconnue.
Te souviens-tu de ces recueillements de novembre où notre trio devait réciter, sans la moindre fausse note, ces poèmes qui, pour nous, constituaient nos premiers devoirs de mémoire. Il fallait que la diction fût impeccable.
Dans ces années là notre trio s'enrichit d'une adjonction avec le regretté Jean-François, il fut mon meilleur ami d'enfance et de préadolescence, de Raymond, de Daniel qui lui aussi nous a quittés et de mon cousin Jack. Nous devions obtenir notre passeport, le dernier de cette version mi-séculaire, pour le secondaire. On avait appris qu'avec 5 fautes on aurait un zéro pointé.
Cette montée au castrum fissura notre symbiose et tandis que les demoiselles filaient à ce qui était encore un cours complémentaire leurs condisciples masculins rejoignaient les vieux remparts.
Que de bien lointains souvenirs communs qu'il nous faut garder bien au chaud sur nos disques durs.
Cette année 2020, pour nous, sera l'exploration de ce dernier quart, à la géométrie plus qu'indécise, qui s'ouvre devant nous. Nous partagerons ce champ de perspective intellectuelle avec nos condisciples Jean, il nous venait des confins monplaisano-sioracois, et notre cadette Catherine qui, pour nous est et restera notre Jacqueline. Elle attendra juillet pour franchir ce nouveau seuil.
Nous ne pourrons que penser à celle et ceux qui ne sont plus là Jean-François auquel je suis allé, pour notre collectif, le 19 février 2004, par une matinée glaciale et neigeuse, rendre hommage à Égletons, première cité du Ventadour. Jean-François était un personnage clé de la prestigieuse E.A.T.P [école d'application des travaux publics] qui a ouvert bien des carrières prestigieuses. Je n'oublierai jamais le chaleureux et pathétique message que tu m'envoyas alors. Nous n'aurons pas non plus Daniel dont les cendres ont suivi le cours du Gave de Pau. Nous pourrons aussi penser à nos aînés Marie-Rose et Jean qui, très tôt, nous impressionna avec sa juvénile culture scientifique, à nos jeunes cadets Fernand, Daniel, Michel et Jean-Paul dont nous nous sentions, un peu, presque prétentieusement, les éclaireurs.
Lydie les hasards de ton cursus professionnel ont fait que, de l'exilée aux racines trévisiannes que tu fus, l'écolière sagelacoise que tu devins avant d'être la collégienne belvésoise, la citoyenne alsacienne à la riche vie active, polyglotte par le travail et la famille, qui s'est longuement affirmée, tu ne viennes que ponctuellement dans cet inoubliable bassin de vie où nous avons forgé nos espérances et nos esprits. Aujourd'hui puissions nous éviter d'être de stériles ressasseurs et que nos souvenirs soient plutôt de virtuels havres informels et intemporels de pensées de seniors qui s'attribuent le droit de ne pas oublier.
Bon anniversaire Lydie. De notre creuset nauzérois, je t'embrasse avec celles et ceux qui ont emprunté les mêmes sentes. Nous embrassons aussi Roland, ton mari, que nous aimons rencontrer lors de vos espacées passages dans ce terroir de ton enfance et ton adolescence.
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