Nos alliées de la nuit les chauves-souries
Michel Ribette avait promis un reportage sur les chauves-souris. Avec beaucoup d'humour il a dit "puisqu'il n'y a rien à voir à la télévision je m'y suis mis plus tôt que prévu".
Ces amies de nos granges et de nos grottes, pour Michel, ont permis de les mieux connaitre et ainsi il en fait profiter le lectorat qui apprécie hautement ses proses et ses images. |
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Michel Ribette |
LES CHAUVES-SOURIS,
nos alliées de la nuit. (1ère partie)
D’aucuns diront que j’ai une attirance particulière pour le noctambulisme. Pas faux, car après vous avoir conduit dans l’intimité de l’Effraie des clochers ma modeste plume va aujourd’hui diriger vos pas dans celle des chauves-souris avec ce dossier très complet afin de répondre à vos interrogations.
Depuis longtemps j’éprouve une réelle sympathie pour toutes ces créatures des ténèbres, pour ce bestiaire des sorcières et démons qui durant des siècles firent fructifier l’imagination destructrice et sans limite des hommes. Cloué sur les portes des granges pour conjurer le mauvais sort pour l’effraie mais aussi pour les chauves-souris ou encore ébouillantées pour ces dernières, afin de composer des décoctions aux improbables vertus, je me suis toujours évertué à mieux faire connaître ce monde des minorités animales incomprises. Ce monde de la nuit qui nous parait si loin de notre univers de lumière (*).
L’étymologie grecque de chauves-souris est aussi riche d’enseignement que surprenante : cawa sorix, ce qui signifie… chouette-souris. Nos antiques érudits n’étaient-ils pas aptes à faire la différence entre un animal à plume et un autre à poil, pour créer cette espèce d’hybride ? Ou alors par peur et /ou par superstition craignaient-ils le monde de la nuit pour l’observer en détail ? Au fil du temps cawa sorix fut métamorphosé en calva sorix, littéralement chauve-souris, apportant plus de précision pour nommer plus sérieusement notre petit mammifère volant.
Comme vous le savez les chauves-souris volent et plus particulièrement avec leurs mains dont les doigts démesurément hypertrophiés sont reliés aux pattes par une membrane. De ce fait la classification systématique du Règne animal les a classées en Chiroptères (qui vole avec ses mains= du grec CHEIRO).
24 espèces animent les nuits de nos villes, villages et campagnes de Dordogne (25 en Aquitaine, 34 en France).
En voici une présentation détaillée afin de mieux vous les faire connaître.
Comment vivent-elles l’hiver ?
Si l’hiver venu, nos oiseaux insectivores opèrent de spectaculaires voyages migratoires vers leurs ressources alimentaires, en Afrique par exemple, nos chiroptères utilisent une autre stratégie de conservation pour survivre au jeûne imposé par la privation de nourriture. Réfugiées et immobiles au fond des grottes et des caves, où elles ont trouvé calme, hygrométrie et température constante entre 1 et 10°, elles vont vivre à l’économie sur leur réserve de graisse. Cette dernière très riche, appelée « graisse brune » aura été stockée dans le dos dès l’été, avant l’entrée en hibernation. Elle s’évalue entre 20 et 30% du poids de l’animal.
Pour vivre en léthargie elles ont l’obligation de procéder à de grandes transformations physiologiques comme: - l’abaissement au maximum de leur rythme cardiaque (10 battements/minute contre 600/minute pour un Grand Murin en activité) - de leur respiration (des temps d’apnée de 60 minutes parfois plus en hiver contre 4 à 6 respirations/seconde en période d’activité) et de leur température, tout juste au-dessus de celle du site de repli hivernal, parfois près de 0°. Il m’est arrivé d’observer dans les zones d’entrée d’anciennes mines, des chauves-souris recouvertes de givre.
L’atmosphère saturée en humidité, 80% et plus, joue également un rôle primordial. La fragile membrane fortement vascularisée, qui relie les doigts de la main, les pattes et la queue, sera ainsi préservée de toute lésion engendrée par un dessèchement.
S’il va de soi que la tranquillité demeure pour elles un facteur déterminant pour survivre à l’hiver, cette période critique les rend extrêmement vulnérables car le moindre dérangement peut leur être fatal. en fuyant le danger elles brûleront les calories nécessaires leur permettant d’atteindre la fin de hibernation.
Le réveil printanier.
Aux premières chaleurs printanières les chauves-souris quittent leur état léthargique pour entamer une nouvelle phase de leur cycle annuel d’activités. C’est la graisse brune qui en réchauffant le sang produit 30 à 70% de la chaleur nécessaire au réveil qui se situe aux environs de 12°. Les battements du cœur sont alors stimulés par des décharges électriques dans les nerfs sympathiques, puis la respiration reprend et s’accélère tout comme la circulation du sang.
Comment se dirigent-elles?
Ce sont des animaux bien adaptés au monde de l’obscurité grâce au développement d’un 6ème sens : l’écholocation. Leur vue équivalente à la nôtre, ne leur permet pas d’évoluer efficacement dans la nuit. Elles ont donc développé un système de sonar complexe en émettant des ultrasons pour chasser et communiquer. Ces ultrasons émis entre 15 et 120 khz pour les espèces européennes sont pratiquement imperceptibles par nos oreilles qui ne captent plus au-delà 20 Khz. Ces ultrasons sont émis soit par la gueule comme chez les Oreillards ou alors par les narines chez les Rhinolophes.
Pour optimiser la réception des ultrasons les pavillons auriculaires servent d’amplificateurs orientables, indépendants et décalés. De ce fait les chauves-souris reçoivent les informations en 3 dimensions, ce qui leur permet de se faire une « image sonore » très précise de ce qu’elles localisent. Certaines espèces sont même capables de détecter un fil de 0,05 mm à plusieurs mètres.
Si l’émission des ultrasons se fait par la bouche chez la plupart des espèces européennes, elle se fait aussi par les narines comme chez ce Grand rhinolophe, dont la feuille nasale très particulière les focalise à leur sortie du larynx. Entre 50 000 et 200 000 vibrations sont émises par seconde.
PHOTO Chiro 3
Dès que les ultrasons se heurtent à un obstacle, par exemple un papillon de nuit, son écho revient aux oreilles de la chauve-souris. Leur émission s’accélère alors en même temps que l’animal se rapproche de la proie détectée. L’analyse extrêmement rapide et complexe du retour des ultrasons, permet à notre petit insectivore de la capturer avec une grande précision.
(*) Je viens de participer à la réalisation d’une série de quatre reportages pour ARTE consacrée à toutes ces bestioles autrefois et parfois encore mal vues. Son titre : DES BETES ET DES SORCIERES, une série documentaire de 4x43’ et 4x52’ écrite et réalisée par Dominique HENNEQUIN.
Mêlant animation (dessins de John Howe, Directeur artistique du Seigneur des anneaux et du Hobbit) et images animalières réalisées sans imprégnation ni nourrissage par une dizaine d’opérateurs animaliers de grand talent, cette série propose de changer notre regard sur ces espèces décriées et injustement diffamées, de passer de la légende à la réalité, de découvrir leur rôle dans la nature et de se laisser séduire par leur extraordinaire beauté.
Cette série sera diffusée sur ARTE du 28 au 31 octobre 2019, veille d'Halloween (d’où le titre).
Je vous en reparlerai car mon ami Dominique Hennequin m’a proposé de venir au pays nous offrir une avant-première de cette série.
LES CHAUVES-SOURIS,
nos alliées de la nuit. (2ème partie)
Le temps de la reproduction.
Chez les chiroptères la saison de reproduction, qui démarre en automne avec les accouplements, est très particulière. Les chauves-souris vivent en général en harem au sein desquels les femelles, qui peuvent être fécondées par plusieurs mâles, utilisent une étonnante stratégie. Durant l’hiver, et pour ne pas puiser dans leur réserve de calories, vitale au développement de l’embryon, elles vont procéder à l’ovulation différée, chose unique dans tout le Règne animal. L’ovulation et la fécondation seront donc déclenchées au réveil printanier.
Autre stratégie : - chez les Minioptères de Schreibers, la fécondation succède à l’accouplement mais le développement de l’œuf est stoppé dès l’entrée en léthargie. Le processus du développement embryonnaire reprendra aux beaux jours.
Après une gestation de 30 à 70 jours selon les espèces, un seul petit naîtra à la fin du printemps à l’apogée des éclosions d’insectes. Le bassin des femelles largement ouvert leur permettra de donner naissance aux plus gros des nouveaux nés de tous les mammifères. Durant ses premiers jours la jeune chauve-souris restera accrochée à sa mère y compris durant le vol, puis intègrera une nurserie où elles s’y reconnaîtront à leur pelage gris beige. Selon les espèces le premier envol surviendra entre 20 et 30 jours.
Le temps des migrations succèdera à celui de la reproduction. Dès la fin de l’été les déplacements migratoires surviennent sans que l’on sache encore très bien comment elles se dirigent. Est-ce grâce aux étoiles, est-ce grâce à des repères physiques, est-ce grâce à l’attraction magnétique terrestre ? Mais comme pour les oiseaux migrateurs, peut-être une combinaison de tout cela.
Des animaux très menacés.
Malgré un grand nombre de lois et de décrets européens, nationaux ou régionaux, l’avenir de nos chauves-souris demeure très précaire face à de nombreuses menaces.
Parmi celles-ci citons :
Où vivent-elles ?.
Les chauves-souris sont non seulement nos alliées mais aussi nos compagnes de vie, car elles sont omniprésentes autour de nous en profitant du moindre gîte garantissant leur tranquillité. Certaines recherches ont établies que leur espérance de vie fluctuait pour certaines espèces entre 30 et 40 ans. A notre échelle nous pouvons réaliser des nichoirs qui leur seront dédiés dans notre jardin, sur un mur de nos bâtisses ou plaqué sur un tronc d’arbre. Différents plans se trouvent sur internet.
Des auxiliaires du viticulteur.
Leur rôle notoire dans la lutte contre les insectes et notamment les ravageurs des cultures, vient de franchir un nouveau pas et par la même une belle reconnaissance. En effet l’intégration des chiroptères comme alliés et auxiliaires du viticulteur remplace peu à peu les insecticides. Si nous en sommes aux premières expériences, il est fort à parier que nos chauves-souris fourniront dans différents domaines agricoles les services attendus dans la lutte biologique, une alternative aux épandages de pesticides. En période d’activités, d’avril à octobre, une chauve-souris peut consommer entre 500 et 600 insectes par nuit, ce qui vous en conviendrez n’est pas rien.
J’espère que ces quelques lignes vous permettront de porter un autre regard sur ces insatiables insectivores qui la nuit venue prennent le relais des hirondelles et autres fauvettes dans le contrôle des populations d’insectes parasites de nos champs et jardins, ou piqueurs tels que les moustiques. Un service qui vaut bien toute notre reconnaissance et notre respect.
Voilà, j’espère que les courageux qui seront allés jusqu’au bout de ce texte, auront eu autant de plaisir à me lire que j’en ai eu à rédiger ce plaidoyer. Merci pour votre courage et à bientôt.
Restez curieux de Nature, elle est source d’émerveillement et… ne déçoit jamais.
Michel RIBETTE
pour Terres de Nauze- mai 2019
Liste des 24 espèces présentes en Dordogne : Barbastelle d’Europe - Minioptère de Schreibers - Murin (Grand) - Murin (Petit) - Murin à moustaches - Murin à oreilles échancrées - Murin d’Alcathoè - Murin de Benchstein - Murin de Daubenton - Murin de Natterer - Noctule (Grande) - Noctule commune - Noctule de Leisler - Oreillard gris - Oreillard roux - Pipistrelle commune - Pipistrelle de Kuhl - Pipistrelle de Nathusius Pipistrelle pygmée - Rhinolophe (Grand) - Rhinolophe (Petit) - Rhinolophe d’Euryale - Sérotine commune - Vespère de Savi.
Le saviez-vous ? : Le guano de chauve-souris est un excellent engrais mais son dosage mérite des précautions. On l’utilise au printemps à raison de 50 à 300 g au m2. En automne on le mélangera à un engrais vert ou avec de la matière organique végétale comme fumier et compost.
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