Pauvres chemins ruraux !
Dans l'article ci-dessous je revendique mon droit à la partialité. On est partial quand on prend fait et cause pour une idée et celle que j'entend défendre dans ce papier c'est l'intérêt général qui, lui, est franchement incompatible avec l'addition des intérêts particuliers. Nous savons tous qu'il y a des règles et qu'humainement, à un moment ou à un autre, nous sommes tous capables de les contourner.
Les fossoyeurs des chemins ruraux sont certainement, au premier chef, les citoyens demandeurs de leur aliénation et, ensuite, les élus qui valident ces demandes. Acteurs ou figurants de ce cheminement d'aliénations les milliers de commissaires enquêteurs, personnes compétentes et qualifiées, n'ont pas vocation à être des censeurs. Ils ne sont pas forcément des experts. Les commissaires enquêteurs ne sont plus les débonnaires bénévoles d'antan. Leurs missions, sans être hautement dispendieuses, ne sont pas pour autant négligeables dans les frais des dossiers d'aliénation. Ces commissaires constatent l'obsolescence des chemins ruraux proposés à l'autel du sacrifice. En affirmant la nécessité d'éviter que le clientélisme ne soit l'unique fondement sociétal le fondement de leur coûteuse mission symbolique, purement consultative, amène tout de même à s'interroger sur ce rempart symbolique. En concevant qu'il y ait pu y avoir, quelque part, de plus que rarissimes conclusions défavorables à cette campagne acharnée de mutilation de notre patrimoine une saine résistance à ce pillage reste à imaginer.
Tout le monde connait la maxime bientôt biséculaire " La propriété, c'est le vol ! ", qui fait que Pierre-Joseph Proudhon, socialiste-libertaire [rien à voir avec la mouvance réformiste contemporaine] demeure encore présent dans bien des mémoires.
Qu'est-ce que la propriété ? ou Recherche sur le principe du Droit et du Gouvernement, publié le 30 juin 1840, est le premier ouvrage majeur de l'anarchiste français Pierre-Joseph Proudhon. Il traite du concept de propriété et de sa relation avec l’État, les ouvriers et l’anarchisme. Ce livre contient la citation célèbre : " La propriété, c'est le vol ! "
Proudhon déclare : " J’en ferai sortir la preuve irréfragable que la propriété, quand elle serait juste et possible, aurait pour condition nécessaire l’égalité. " Il adopte le mot mutuellisme pour décrire sa vision d'une économie composée d'individus et de syndicats démocratiques qui échangeraient leurs produits sous la contrainte de l'égalité. Source Wikipédia
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Pierre-Joseph Proudhon 15/1/1089, Besançon, 19/1/1865, Paris |
Pour ma part, bien qu'admirateur sans réserve de l'idéal libertaire, je pense que notre société, qui repousse de toutes ses forces, le socialisme authentique, serait tout de même en harmonie parfaite avec les propriétés privées, sous réserve qu'elles soient légitimement acquises et qu'elles soient maintenues dans les justes limites du patrimoine intime. Délicate équation... où implanter les jalons !
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Un rappel patrimonial.
Les chemins ruraux, dans notre ruralité profonde, sont souvent imparfaitement appelés des chemins communaux, parfois, avec une forme de respect patrimonial, des chemins "classés". Ils relèvent purement et simplement de la propriété privée des communes. À ce titre, les responsables décideurs de leur maintien ou de leur aliénation, sont exclusivement les appareils municipaux. À l'exception de chemins ruraux inscrits au patrimoine mondial, un conseil municipal peut parfaitement, sans rendre compte à qui que soit, faire procéder à l'aliénation de ces legs ancestraux, sous réserve que ces aliénations aient fait l'objet d'enquête publique et qu'elles n'enclavent aucune propriété privée.
Il faut aussi que la publicité légale ait été faite, publication dans deux journaux diffusant dans le département concerné [pas nécessairement les titres les plus lus] complétée de l'affichage sur les panneaux ad'hoc de la commune. Il faut aussi afficher sur les lieux mêmes des chemins proposés à l'aliénation. Notons que, certes, nous sommes censé consulter l'affichage à la mairie mais pratiquement, comme le Journal officiel, pratiquement personne ne le consulte. Autant dire que les grincements de dents ne se produisent, en général, qu'une fois que la validation est irréversible.
Un superbe challenge de redditions.
Les exécutifs municipaux, au premier chef les maires, qui, dans leur écrasante majorité, ne répugnent pas à une reconduction, sont amenés à louvoyer pour mutiler ces legs ancestraux en donnant gain de cause à celles et à ceux qui pour des raisons d'extension de leur propriété ou pour les rendre le plus étanche possible le leur demandent, et, aussi, par clientélisme. L'argumentaire le plus utilisé est l'obsolescence de ces liens… peu importe l'irréversibilité de ces saccages qui privent certaines renaissances patrimoniales virtuelles.
Il est manifestement difficile de tenir tête à un propriétaire qui vise une aliénation si le chemin, manifestement, est très peu fréquenté, a fortiori oublié dans la nature.
Il existe des défenseurs de ce patrimoine. Ce sont les promeneurs, piétons, cyclistes, cavaliers, randonneurs et, aussi, les chasseurs et pêcheurs qui, sans ces accès, parfois très anciens, ne peuvent évoluer à leur convenance.
La maintenance.
Attention, les collectivités ne sont nullement tenues à un entretien des chemins ruraux obsolètes. Seuls les chemins ruraux desservant des habitations ou des lieux de travail, chantiers ou ateliers, sous-tendent une obligation de maintenance.
L'intérêt général est, pour le présent, de conserver ce patrimoine, dans l'immédiat, pour sa fonctionnalité et, pour le futur, afin de se prémunir des imprévisibles conséquences d'aliénations et, enfin, d'éviter de se trouver dans des situations d'enclave.
Une solution parfaitement irrégulière.
Certains propriétaires, dont ceux qui spéculent sur la prescription acquisitive, en droit désignée usucapion, art 2272 du Code civil, commencent par fermer les chemins avec, parfois, des poignées admettant le passage ponctuel. Cette dernière pratique demeure manifestement une irrégularité. Les chemins ne doivent pas être obstrués. Les usagers sont en droit d'y passer à tout moment. Ce n'est pas une faveur qui leur est concédée et les propriétaires mitoyens n'ont aucun droit particulier. Par ailleurs, un accident produit par un animal chargeant un promeneur, ne manquerait pas d'ouvrir une interrogation sur la responsabilité, propriétaire ou maire, voire les deux.
Le rôle du commissaire enquêteur.
Le législateur a voulu que les alénations soient soumises à des enquêtes préalables. Jadis, pour ces mutilations, on disait une enquête de commodo et incommodo préalable à l'aliénation. Le commissaire enquêteur examine le dossier, écoute les pétitionnaires et prend les avis qu'il pense utiles, dont ceux des services de secours… Il peut rendre, mais, là, c'est fort rarissime, ses conclusions en invitant, le cas échéant, les élus à une remise en cause de projet. Les élus peuvent en tenir compte ou pas. Ce sont eux qui sont souverains en la matière.
Le commissaire enquêteur peut par exemple mettre en relief les réactions des parents d'élèves qui verraient d'un mauvais œil, un chemin parfaitement sécurisé soustrait au patrimoine communal, faisant que les écoliers seraient plus exposés à la dangerosité d'une route passagère.
Sauf miracle, les aliénations, tant que les mandats municipaux seront reconductibles, ont de longs jours devant elles jusqu'à ce qu'il n'en reste plus un d'aliénable.
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Prenons l'exemple concret du chemin rural qui, sur les documents cadastraux, relie La Pique [Pays de Belvès] à La Tute [Siorac-en-Périgord].
Ce chemin rural qui, il y a un siècle, était appelé chemin de La Pique à Marnac, concerne trois communes : Pays de Belvès, Sagelat et Siorac-en-Périgord. Il est mis à mal sur les trois communes.
Là, plusieurs segments de vénérables chemins ruraux se complètent sur environ 7 Km. Au regard de l'histoire, il s'agirait d'un tronçon de la voie gallo-romaine qui reliait Périgueux à Cahors, en épousant le bas des collines latérales à la Nauze. Les travaux du XIXème siècle qui ont débouché sur des routes plus adaptées, ont fait que le sillon routier de la rive gauche de la Nauze, moins sinueux et moins accidenté, a été préféré par les charretiers. Alors il ne subsista plus que les évolutions courtes vers les champs et les pâtures et, naturellement, les progressions piétonnes.
Au cours du siècle précédent, les glissements de l'assiette ont été pluriels que ce soit à Belvès, Sagelat ou Siorac. Les exploitants, moins regardants sur le tracé qui s'affranchissait de l'assiette, ont fait qu'à bien des endroits, le chemin rural a été envahi par la végétation ou par un glissement des contours parcellaires. Cerise sur le gâteau, l'introduction d'engins agricoles, dont les moissonneuses-batteuses et les puissants tracteurs agricoles qui dépassaient largement l'empattement charretier, a malmené ce tracé.
Certains propriétaires laissaient passer essentiellement pour deux raisons. Nos ruraux avaient, certes, la notion de propriété mais, d'une manière générale, admettaient une permissivité tolérante de passage, par la règle fondamentale d'un paisible savoir-vivre qui les honorait et, pour beaucoup, les honore toujours. Par ailleurs, il faut bien dire qu'ils ont souvent été eux-mêmes, par commodité, les initiateurs des déports d'assiette. Ces déports, cependant, évitaient, systématiquement, de contrarier les rendements agricoles des parcelles car les chemins déplacés se situaient en limite des contours des parcelles.
Pourquoi, par bon sens et par devoir, faudrait-il s'opposer aux aliénations -de fait et de droit- des chemins ruraux.
Les chemins ruraux, héritages de nos lointains ancêtres, avaient pour but d'atteindre les villages et hameaux épars, les champs et pâtures. Ils constituent un patrimoine multi-générationnel qu'il faudrait savoir conserver pour leur fonctionnalité et, aussi, pour servir maintenant que leur usage est devenu moins évident comme sentiers pédagogiques pour les enfants et les promeneurs. Ces chemins ruraux sont souvent des raccourcis pour aller dans les recoins les plus reculés. Leur mutilation prive d'accès à des fontaines, de vieilles chapelles, des lavoirs, des clairières, des futaies ou des points de vue, les personnes qui voudraient les atteindre pédestrement.
En général, on est toujours favorable au maintien du patrimoine commun sauf si l'on raisonne en aspirant à sa captation. Là, c'est le triomphe de l'intérêt particulier sur l'intérêt général, pour ne pas dire des puissants écrasant les plus humbles.
Quand les collectivités n'ont pas, ou n'ont plus, les moyens d'entretenir certains de ces chemins, mieux vaut les laisser aux envahissements de la nature que les aliéner ; car, si la nécessité de les rouvrir se fait jour, hormis la procédure compliquée et impopulaire de l'expropriation, il n'est plus possible de les rénover.
Le portail côté nord. Lors de la promenade des moulins, le 30 mai 2018, les randonneurs ont fait la grimace en constatant que le chemin rural était obturé près de La Pique. Comme il n'y avait pas de paralytiques, pour poursuivre l'échappée verte, tout le monde est passé, en se faufilant dans la "fenêtre" de la clôture ou en l'escaladant.
Le portail côté sud.
Qu'il est beau, ce bucolique chemin. Qu'il serait bon, pour les promeneurs, de pouvoir le voir rétabli dans sa totalité !
Texte et photos Pierre Fabre
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