Contez nous vos débuts dans la vie active. Volet n° 2.
Souvenirs de jeunesse.
Après les souvenirs de notre amie Nono, nous allons dégringoler tout en bas de l'échelle sociale, pour ce volet n° 2. En attendant d'autres contributions, bien plus valorisantes, je vais vous proposer deux souvenirs de mes premiers pas en entreprise. À l'époque, les débuts dans la vie professionnelle étaient beaucoup plus rigoureux que de nos jours. La hiérarchie était beaucoup plus affirmée qu'aujourd'hui; bien qu'il faille le souligner, beaucoup de nos aînés se révélaient être chaleureux et d'une exquise délicatesse pour les jeunes qui arrivaient dans la vie active. Si quelques uns se montraient un peu dominateurs et fiers de leur position, il ne faudrait surtout pas généraliser.
Un premier regard sur le Landy.
Le Landy , gare de formation des trains de grandes lignes de l'ancienne région Nord et pôle de maintenance du matériel, tout près de l'actuel Stade de France, au sud de St Denis, au nord de la Porte de la Chapelle.
J’ai débuté ma carrière à la S.N.C.F le 22 avril 1963. Une quinzaine de jours plus tard, après une rapide initiation à St Ouen, je posai mes pieds au Landy-Centre.
C’était "la" grande époque au piédroit de la cathédrale laïque… hélas démolie.
Les trains qui venaient à la maintenance avaient parcouru l’Europe et il y avait même des voitures qui arrivaient de Scandinavie et de Moscou pour repartir au premier équilibre des rames.
Au Landy, ils étaient [les trains] visités et nettoyés et plaqués, comme une jeune mariée attendue pour la cérémonie nuptiale, pour accueillir de nouveaux voyageurs.
C’est là que j’ai connu une kyrielle de cheminots “authentiques”. Leurs grades et leurs fonctions… peu importe !
Je citerai, avec émotion, Albert Lenormand, X Gilbert, X Corcy, dit Nénesse, le planton -fort prématurément décédé- que tout le monde appelait “Le Gaulois”, quelques sous-chefs, X Le Tonkin, Jean Razer, un certain Bill, dont le nom n’était jamais cité, des chefs de manoeuvres d’exception X Floury, X Bailleul, X Descour et X Dumay, des agents chargés du graissage des aiguilles, X Rocherieu, X Toscano et Albessard, outrageusement baptisé "La Truie" à cause de son ventre largement proéminent, des braves et gentils collègues favorisant l’accueil; Papa Joly, X Moreau, X Etienne qui, peu après mon arrivée au Landy, est parti à Trappes et X Leclerc qui s’est échappé au Bourget pour une promotion largement méritée.
Quelques diminutifs et surnoms étaient notoires et occultaient les patronymes, dont Mimile, à la gérance, et « Chambre à Air », à la manoeuvre. Ce dernier, je pense, vit toujours et je crois qu’il s’appelle Depessemier.
Et tant d’autres dont je garde un souvenir imprécis en sachant que beaucoup, hélas, ne sont plus.
Je conserverai, ma vie durant, une infinie reconnaissance au mécanicien de manœuvres X Brake, un Picard de Méru, au langage sans détours, parfois fleuri, qui, percevant mes doutes, a su, spontanément, me dire, à mes débuts, avec un bon sens logique “Petit si tu veux faire carrière n’écoute pas tous ces c… qui ne font que contester le chemin de fer mais qui y restent”.
Je mémorise le souvenir des deux bars à l’entrée du Landy. L’un était tenu par une dame âgée, affreusement dénommée dans la facile saillie populaire d'un sobriquet immotivé et outrageux, qui, sous la photo de Rethondes, parlait du 11 novembre 1918, avec un profond saisissement… presque religieux. Elle connaissait le Landy, [chantier de 3 Km de long et 300 à 400 mètres de large] mieux que certains cheminots, et dans ses moindres recoins. Je l'ai entendue, sur son intime conviction, voler au secours de Carpentier, un conducteur de manœuvres, qui avait déraillé dans des conditions discutables. L’autre bar était aux mains de jeunes Auvergnats qui commençaient leur commerce dit de “bougnats”.
C’était là, entre 5 h 35 et 5 h 55, qu’en un tour de main on prenait le jus… voire son petit déjeuner. Les autres alternats de la journée n’avaient pas la même intensité.
Une remarque, pour les plus anciens, me vient à l’esprit. Beaucoup avaient connu la guerre, certains la Résistance, tous l’Occupation. A quelques exceptions près ils n’en parlaient pas. Quelle belle leçon de pudeur et de décence !
Le Landy c’était aussi, surtout pour nos collègues du matériel, un lieu où la Saint Éloi avait une belle résonance. La cantine ouvrière, ce jour là, offrait un modeste, mais, ô combien, apprécié, repas festif.
Parler du Landy sans citer les navettes, trains ou autocars, reliant les Joncherolles, le site villetaneusien de maintenance des rames de banlieue, à la Gare du Nord que les cheminots, pour une raison que j’ignore, avaient baptisé “La poule” serait lacunaire.
Dire que quand je débutai au Landy, mon rêve était de quitter la région parisienne pour rejoindre la province et, cerise sur le gâteau, retrouver mon Périgord natal. Ces années 63/67 que j’ai, partiellement, passées au Landy [j'ai effectué mon service militaire de mai 64 à août 65] m’ont profondément marqué. Elles me laissent un souvenir inoubliable de découverte d’un premier emploi au sein d’un site laborieux, peu connu du grand public, au cœur d’une entreprise qui ne manque pas de panache.
http://ajecta.unblog.fr/2009/10/06/veille-de-train-une-nuit-au-landy/
Une image loin derrière nous. Les wagons-lits, tout comme les pullmans, sont des images du passé. On peut, certes, dire que cette "hiérarchie" sociale de la clientèle avait quelque chose de ringard; c'est vrai. Ne survit-elle pas avec les grosses cylindrées sur l'autoroute ou les classes dans les avions!
Un grand merci à Cédric Demonfaucon pour ce lien qui nous plonge dans l’historicité "landienne".
http://ajecta.unblog.fr/2009/10/06/veille-de-train-une-nuit-au-landy/
La découverte d'un "sanctuaire" de la circulation.
[Le P.R.S et P.C.C de Paris-Nord, en clair "Poste d'aiguillage tout relais à transit souple " et "Poste de commande centralisée".]
Le décor de Paris-Nord, à l'époque, demeurait fortement gravé de l'ère de la vapeur.
Quand au printemps de 1963, j'entrai par la plus petite porte, à la S.N.C.F, je fus impressionné par ce mélange de modernité et de logistique séculaire. Dans la même gare, on voyait évoluer de pimpants T.E.E. : ils mettaient Bruxelles à 2 h30 de Paris, et des trains de banlieue tractés par les vénérables 141 R qui laissent aux anciens, la nostalgie de leur panache blanc. Plus encore que la technique, je fus affecté par le composite vivier humain de l'entreprise où l'on trouvait, pêle-mêle, des équipiers un peu frustes, mais ô combien attachants par leurs qualités intrinsèques, tranchant avec la nouvelle génération qui, par erreur d'appréciation ou par un stupide complexe de supériorité, se croyait investie de prérogatives plus novatrices. Les dirigeants de l'époque qui, à une écrasante majorité, n'avaient derrière eux, que leur expérience de terrain et n'avaient jamais mis les pieds dans un groupe de travail managérial, touchaient par leur culture d'entreprise, leur lucidité, la qualité de leur gestion de chantier et parfois, sous des abords rudes, faisaient preuve d'un humanisme aussi discret qu'authentique. Nos jeunes énarques, à mon humble avis, sont bien loin d'être à leur niveau. Certains avaient connu la captivité dans les camps outre-Rhin, d'autres avaient rejoint les rangs de la Résistance et beaucoup avaient connu le pilonnage qui avait mutilé l'outil ferroviaire pendant la guerre.
Tout jeune donc, je pénétrai dans ce P.R.S de Paris-Nord, opérationnel depuis 5 ans, mais, à mes yeux, d'une modernité saisissante. Pour moi cette découverte d'une chapelle laïque, affectée à la gestion du mouvement, fut similaire à l'émerveillement des paléontologues pénétrant dans la grotte de Lascaux. Les opérateurs, hommes d'une qualité professionnelle prodigieuse, travaillaient dans un calme presque religieux laissant seulement échapper des inquiétudes ponctuelles comme "départ Chantilly ; bon sang qu'est ce qu'il b... c'est ouvert, pourquoi il ne part pas" ou "retour Landy, qu'est qu'il fout nom de D… il va me planter le 179". Le coordinateur de cet ensemble, comme un chef de chœur, donnait la mesure.
Je me souviens de ce personnage qui commandait ce collectif, véritable encyclopédie vivante des textes réglementaires, impressionnant par sa bonhommie et sa maîtrise parfaite du terrain et des flux. Me voyant timidement pénétrer sur la pointe des pieds, porteur de documents, hésitant et quasiment troublé devant ces personnages qui manipulaient l'outil avec une aisance parfaite, me dit "entre donc tcho, on ne va pas te manger". Tcho, en picard, veut dire petit ; je découvris ce mot. Voyant mon émerveillement, il prit quelques minutes pour me présenter "son" P.R.S. , me fit découvrir ses collaborateurs, leurs pupitres et m'expliqua ce qu'était le T.C.O, tableau de contrôle optique, la création des itinéraires, les mouvements en cours. Les lampes témoins s'allumaient, puis s'éteignaient, puis s'allumaient à nouveau dans un ordre différent ; j'eus l'impression d'assister à un féerique ballet lumineux automatique. Je ne sais si X Leguay est encore de ce monde mais il m'a donné, en quelques minutes, bien plus que des heures de bachotage.
Ce sont ces souvenirs là qui ont marqué mes premiers pas. Ils sont bien loin mais tellement présents et j'oserais dire précieux dans mes souvenirs.
En 1964, je crois que ce fut pour la nuit de Noël, la chanteuse Pétula Clark pénétra dans le P.R.S de Paris-Est. La vie du rail relata ce passage de l'artiste galloise et confia qu'elle fut subjuguée par sa découverte.
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Je dédie ce modeste papier à toutes celles et à tous ceux qui ont favorisé les premiers pas de mes jeunes collègues et de moi-même, avec un souvenir ému pour Lucien Ansart , qui nous a quittés, et un respectueux salut à Guy Magnon qui boucla son parcours sur les plus hautes marches de la direction du transport. Ils ont été des formateurs d'exception, exemplaires humanistes, consciencieux et profondément compétents.
Pierre Fabre.
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