Fongauffier-sur-Nauze

Fongauffier-sur-Nauze

Regard sur la petite histoire fongauffiéraine.

Les journées du patrimoine, chaque année, permettent de mesurer combien nos concitoyens s'intéressent à celui-ci et à la petite histoire qu'il recouvre.

 

Grâce à mon amie Marie-Françoise Guludec-Barthéfille de nos regrettés Yvette Chansard et Yvan Guludec, gardienne d'un point clé de l'histoire fongauffiéraine, Marie-Françoise m'a confié la copie d'un document d'un de ses ancêtres,  je vais vous proposer une lecture bouleversante de pages bi-séculaires.

 

Jean Chenut, le grand père de son trisaïeul, surprend par sa qualité rédactionnelle où les fautes sont très rares et, probablement, ne sont pas issues de sa plume mais, plutôt, de la transcription dactylographique de la pièce originale. Tout au plus on remarque quelques mots qui attestent que Jean Chenut parlait naturellement l'occitan et s'autorisait des licences pratiques en francisant l'occitan ; "pulmonie" pour pneumonie, "accouche" pour accouchement ou couche, "défuite" et "échampoir" pour déversoir. 

On notera qu'en français il faut assembler les mots, déversoir et amont, pour identifier "l'échampoir".

Ces immixtions ne font que renforcer le document de Jean Chenut. On ne peut que reconnaître la profonde sensibilité, la richesse intellectuelle, le bon sens,  la finesse et l'exactitude de la précision des observations de ce meunier.

 

Le rédacteur rappelle la conscription aléatoire de son époque. Ceux qui ne tiraient pas le "bon numéro" étaient soumis aux sept années de servitudes militaires. Ceux qui avaient les moyens pouvaient payer un pauvre malheureux pour prendre leur place. La République a tout de même mis un peu d'ordre dans ce système immoral.

 

Mes remerciements vont, post mortem, à Jean Chenut et, aujourd'hui, à Marie-Françoise qui est une passionnée de Fongauffier en général et, naturellement, du moulin de son enfance.

 

 

 

Superbe le moulin fongauffiérain de la Robertie mérite un clic pour une image plus nette.

 

Les moulins ont toujours fasciné les hommes de plume. Daudet a immortalisé les moulins à vent de Provence, où l'on est à la peine pour Maître Cornille, Maxence van der Mersch dans "L'empreinte du dieu" nous fait jeter un regard sur ceux des Flandres et les amours tumultueuses de Karelina. Les moulins hydrauliques ont, eux aussi, inspiré les romanciers. George Sand nous a immergés dans la meunerie du Berry, avec Marcelle de Blanchemont, veuve d'un baron qui ne lui a laissé que des dettes, pense pouvoir épouser un ouvrier socialiste, nommé Henri Lémor, malgré les préjugés de classe de ce dernier. Mais Henri s'enfuit et se cache au Moulin d'Angibault. Plus proche de nous, laissons nous séduire par la prose d'Eugène Le Roy qui, au niveau de Coulaures, dans "Le moulin du Frau", pamphlet contre le Second Empire, nous fait vivre au fil de l'eau. Les meuniers du Frau, les Nogaret, laborieux et rangés, mais de cœur généreux, accueillants aux porte-besace, serviables aux voisins dans la gêne, et qui, républicains fiers de leur quatorze quartiers de meunerie, ne s’en laissent pas plus imposer par la grosse importance des bourgeois tout neufs que par les grands airs des hobereaux en bottes molles et en casquette à deux becs.

 

Les meuniers tissent une longue et belle histoire d'amour, jadis avec leurs jolies meunières au croix d'or, mais aussi avec la nature. N'ont-ils pas été le compromis de "valets et de souverains" de deux forces indispensables de la nature ; l'eau et le vent. Ils nous laissent une belle leçon d'écologie. 

 

 

Pierre Fabre.

 

 

Copie d'un texte manuscrit.

L'original était entre les mains de la famille Chenut.

 

 

Le 11/8/1807 est né à Belvès et a été baptisé au dit lieu, le lendemain, sieur Pierre Chenut, fils à Jean et à Anne Chansard. A été parrain le sieur Pierre Chansard, son aïeul, et marraine demoiselle Marie Chenut, sa tante.

 

Le 2 octobre 1808, est née, à Belvès, et a été baptisée le lendemain, à Sagelat, demoiselle Marie Chenut, fille à Jean et à Anne Chansard. A été parrain le sieur Jean Marty, dit Marchat du Noillat, son oncle par alliance, marraine Marie Barrichou, son aïeule.

 

Le 8 décembre 1819 est né à Belvès et a été baptisé le 10, au dit lieu, le sieur Jean Chenut, fils à un autre Jean et à Anne Chansard. A été parrain sieur Jean Barrichou, du lieu des Castels-de-Salles, son cousin et la marraine Élisabeth Chenut, sa tante.

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Je crois qu'il est de mon devoir de dépeindre à mes descendants les désastres que j'ai éprouvés ; ils n'y ajouteront, peut-être, pas foi, il est même un peu surprenant d'en avoir essuyés de si grands, à un âge si tendre ; c'est-à-dire 26 ans. Je m'en vais décrire avec cette exactitude qui dit tout et rien de plus.

 

À l'âge de huit ans j'ai perdu mon père. Il est mort dans l'âge viril, n'ayant que 50 ans. Suivent deux lignes barrées.

Père prit le gouvernement de son ménage et parvint, par ses intrigues et son industrie, secondé par les efforts d'une épouse des plus laborieuses, à remettre pour ainsi dire sa maison dans son premier état. Il est mort, dis-je, très jeune et dans un moment où il aurait fait un bien être à ses enfants ; c'est de ce qu'on ne peut douter. Ses collègues, qui l'ont suppléé, ont amassé des fortunes considérables.

 

J'étais de la conscription de 1806, malgré tous les mouvements que je me donnai et les sacrifices que je fis pour obtenir la réforme, je ne pus y parvenir. Il est vrai que j'avais un peu tort de m'y attendre, n'ayant Dieu merci, aucune infirmité. Je fus donc contraint à me procurer un remplaçant. J'eus la plus grande peine à le trouver, cependant, d'après toutes les perquisitions qu'on puisse faire ce remplaçant me coûte déjà 5 000 francs. [En francs or  cela pourrait donner une équivalence de 6.25 x 5000 = 31250 €, ne trouvant pas la table correspondant à cette époque au début du siècle précédent, vers 1910, 5000 x 3.24267 = 162133 € . Notons que l'infalation entre 1812 et 1910 ne galopait pas comme de nos jours]

 

 

À l'âge de vingt ans et neuf mois je me suis marié. Je pris une femme de 18 ans ; elle avait le plus grand espoir de posséder un jour de ses propres…, une fortune de 50 000 francs. [toujours en s'inspirant de la même comparaison celà donnerait 312.500 € s'il s'agissait de francs or, en se projetant un siècle plus tard 50000 x 3.24267 = 162 133 €]. Elle était douée des plus grands mérites. Sa probité incorruptible la faisait distinguer parmi le public. Nous avons eu, de notre union, trois enfants, dont deux du sexe masculin et l'autre du sexe féminin. Cette dernière était puînée  et mourut, à Belvès, en nourrice le 21 août 1819, ayant l'âge de dix mois et demi. Son amabilité et son esprit incomparable, pour une enfant de cet âge, la faisaient considérer de tous ceux qui se présentaient… Elle était le délice de ses auteurs et de toute sa parenté.

Je ne suis resté avec ma femme que trois ans et huit mois. Elle mourut, le 27 juillet 1810, de "pulmonie" occasionnée par sa dernière "accouche". Elle a emporté le regret général et tous ceux qui l'ont connue donneront à sa mémoire des regrets bien mérités. Mes descendants pourront juger quels sont mes regrets, ayant perdu une compagne qui m'était chère et de laquelle j'étais aimé avec la plus grande tendresse. L'harmonie qui a régné dans notre ménage a été un exemple, nous a fait honneur et considéré de tous ceux qui étaient témoins. Elle me laissa deux enfants, l'un de l'âge de trois ans et sept jours et l'autre de sept mois et dix neufs jours. Ils annoncent la prospérité la plus heureuse et font tous mes délices et ma consolation.

 

Ce n'est pas ici le terme de mes malheurs. Je viens d'en subir un qui n'est pas des plus faciles à digérer.

 

Ma belle mère, après une année de maladie, suivie de souffrances les plus amères, a fini par terminer sa carrière, le 7 juin dernier, à l'âge de 60 ans.

 

J'étais aimé d'elle autant que puisse l'être un fils propre. Il était impossible d'exprimer à quel degré cette amitié s'étendait. Elle était, assurément, bien payée de réciprocité. J'avais pour elle toute la tendresse, la soumission et le respect qu'un fils puisse avoir pour les auteurs de ses jours. Ses plus grands regrets à son dernier moment étaient ses petits fils et ne pouvait se faire une idée quelle serait leur destinée. Elle savait, cependant, qu'elle leur laissait un père et un grand père ayant pour eux toute la tendresse qu'exige la paternité. Elle était si convaincue de ce fait que ça lui donnait quelques douces consolations.

 

J'exhorte mes enfants à graver dans leur mémoire les mémorables journées du 27 juillet 1810 et 7 juin 1812 et les prie, instamment, de ne pas perdre de vue qu'ils doivent à leurs illustres mère et aïeule les plus grandes reconnaissances. De mon côté il en est gravé, dans mon cœur, une empreinte ineffaçable.

 

Je crois de mon devoir ne pas omettre à faire un rapport à mes enfants d'un narré de dévastation, qu'une partie des cantons de Belvès et de Domme viennent d'éprouver, ils n'y ajouterons je doute nulle croyance ! Ces faits sont cependant constants et ne sont que trop réels ; le préfet les a insérés dans le bulletin du département et le journal de l'Empire l'a certifié.

 

Le 5 septembre dernier, un orage des plus désastreux a crevé sur une partie des cantons de Belvès et de Domme. La grêle tombant à gros grêlons, la foudre, les vents impétueux, une pluie, ou, plutôt, des nappes d'eau,, les torrents qui, subitement, ont grossi, les ruisseaux ont occasionné un débordement, une inondation tels que de mémoire d'homme les habitants de ces contrées n'ont jamais vu de spectacles plus horribles. Toutes les récoltes d'hiver sont perdues, maïs ou blé de Turquie, légumes, vendanges, noix, chanvres, châtaignes… tout est enlevé ! Les coteaux qui, il y a peu de jours, offraient les perspectives les plus riantes ne représentent plus que l'aspect sauvage. Des rochers nus et arides, les terres les plus fertiles dans les  plaines et les vallons sont couvertes de pierres, de sable et des dépouilles des coteaux. Les ravins profonds, qu'ont creusé les torrents, présentent à chaque pas au laboureur, au cultivateur, non seulement des obstacles au labeur, au travail, presque invincibles, mais encore des dangers réels. Les prés ne sont plus qu'un vaste gravier, beaucoup de ruisseaux comblés, les chemins obstrués. Le voyageur marche avec crainte, prend des guides, et ces guides mêmes ne sont pas rassurés sur leur sort. Une quantité de toitures des maisons sont emportées, les fondements ébranlés, beaucoup de vitres brisées, les souches de vigne, les noyers, les arbres fruitiers, sont en grande partie déracinée. Enfin tout ce que le ciel peut vomir de dévastation sur la terre il l'a vomi. La dévastation est générale. Toutes les familles sont dans la désolation, la misère la plus affreuse les attend. Le mal est sans remède, il ne peut s'exprimer. Le tableau que je viens de décrire n'est pas exagéré, il faudrait avoir été le témoin de tant de maux pour y croire et s'en former une idée juste.

 

En mon particulier je suis le plus maltraité. Je possédais un moulin à blé à Fongauffier, avec un foulon. Les eaux l'ont enlevé. Il ne reste pas pierre sur pierre, la "défuite" est comblée et les "échampoirs" emportés, l'écluse a disparu. Cette usine donnait un revenu net et annuel de 1 500 francs. Mon cheval s'est noyé. Une quantité de bœufs, veaux, chevaux, ânesses, moutons et brebis de nos contrées ont été, aussi, la proie des eaux. Mes chaudières ont été démolies et j'ai perdu quelques outils pour l'exercice de ma profession, avec beaucoup de cartons et de drogues de teinture.

 

 

La chose la plus "miraculeuse" est survenue dans cette catastrophe. Ma grange, laquelle était très vaste, où était enfermé, au moins, deux cents quintaux de fourrage, a été emportée en entier, par les torrents ; c'est-à-dire avec ses quatre murs, sa charpente et sa toiture, à 150 pas de la place où elle était, au moins, depuis plus d'un siècle. Elle resta un quart d'heure appuyée de deux aubiers, dans la même position qu'elle partit. Enfin les torrents finirent par devenir plus furieux, l'un de ses aubiers se déracina et la grange s'écroula dans l'instant. J'étais à Belvès le jour de ce malheureux évènement, c'était le jour de marché et si mon beau père n'eut pas persisté à me retenir j'éprouvai le même sort de six pauvres malheureux qui étaient dans le moulin, mais tous noyés. L'eau de la rivière de la Nauze allait depuis le chemin qui va à Sagelat jusque devant l'écurie de la maison des Lafon. L'eau était au plancher de presque toutes les maisons de Fongauffier et, de certaines, montait à un pied dessus. Une maison dans Fongauffier s'est écroulée et tous ses murs de jardins ont été emportés.

 

Les torrents ont aussi enlevé, dans la rivière de St Germain, un moulin appartenant aux Lescure. La femme du meunier et quatre de ses enfants se sont noyés. Pareil malheur est arrivé à un moulin appelé "Le Pontet", commune de Veyrines. La mère du meunier, sa femme et un de ses enfants ont été, aussi, avec le moulin, entraînés par les torrents. Un autre, à Envaux, un autre à Terret, ce dernier sur la commune' de Veyrines, ont été aussi la proie des eaux. Heureusement personne n'a péri dans ces deux derniers.

 

Ces funestes détails ne sont que trop vrais, on peut y ajouter la plus grande foi.

 

À Fongauffier en septembre 1812.

 

Jean Chenut.

 

 



17/09/2012
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